Un homme seul


Un homme seul

Ce récit aurait pu s´intituler "Le Livre de mon Père". Frédéric Beigbeder part à la découverte de Jean-Michel Beigbeder (1938-2023), dont il fait un vrai personnage de roman, à situer entre Roger Martin du Gard et Ian Fleming : « c’était un Français qui s’est cru Américain alors qu’il était Anglais ».
Il tente de comprendre cet homme solitaire et secret, fils d´une américaine et d´un béarnais, qui se qualifiait lui-même de "solipsiste". Une enfance dans un pensionnat militaire catholique, l´abbaye-école de Sorèze, puis après les « kapos à chapelets » de Sorèze, chez les frères marianistes de la Villa Saint-Jean à Fribourg, l´a endurci à vie. À peine majeur, il a fui son pays natal pour apprendre le management à Harvard Business School. Au début des années 1960, il a importé en France le métier de "chasseur de têtes" (executive search), « plaçant » tous les dirigeants du CAC 40 (ou presque), durant cinquante ans. Ou les débauchant (« la guerre économique est la seule dont les déserteurs sont récompensés »). A moins que cette activité prestigieuse, le conduisant à voyager dans le monde entier et à tisser des réseaux dans toute ce que la France de l’époque comptait de « décideurs », n’ait été une parfaite couverture pour des activités d’honorable correspondant de la CIA ?
Ce tombeau d´un père brillant et absent est aussi le portrait d´une génération de jouisseurs. Ces hommes seuls que l´on appelle aujourd´hui les "boomers" ont forgé leur égoïsme pendant la Seconde Guerre mondiale. Le confort fut leur idéologie, le luxe leur utopie, le divorce leur fatalité, l´Amérique leur horizon. Ils n´étaient pas faits pour être des pères de famille. À la fois philosophe pessimiste et playboy de la jet-set, Jean-Michel Beigbeder a épousé le XXème siècle, ses plaisirs, sa mondialisation et ses errements.
Son fils contemple avec sensibilité la disparition d´un homme qui symbolise aussi l´écroulement d´un monde, et profile en creux son autoportrait au miroir de ce père si fraichement disparu, dont il peut enfin faire la connaissance...